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« La terre sous ses pieds » de Salman Rushdie

« Pourquoi faisons-nous si grand cas des chanteurs ? Où réside le pouvoir des chansons ? Dans la pure étrangeté de l’existence du chant. La note, la gamme, l’accord ; les mélodies, les harmonies, les arrangements ; les symphonies, les raggas, les opéras chinois, le jazz, le blues : que de telles choses puissent exister, qu’on ait pu découvrir les intervalles et les écarts magiques que donnent les pauvres grappes de notes, tout cela dans l’empan, l’étendue de la main humaine, à partir de laquelle on peut construire nos cathédrales de sons, c’est un mystère aussi alchimique que les mathématiques, le vin ou l’amour. Les oiseaux nous l’ont peut-être appris. Peut-être pas. Peut-être sommes-nous simplement des créatures à la recherche de l’extase. Nous n’en avons pas beaucoup. Nos vies ne sont pas ce que nous méritons, elles sont, mettons-nous bien d’accord, douloureusement insuffisantes. La chanson les transforme en quelque chose d’autre. La chanson nous montre un monde digne de notre ardent désir, elle nous montre notre être intime comme il devrait être, si nous étions dignes du monde ».

Salman Rushdie


"Le chant des hommes", de Nazim HIKMET

LE CHANT DES HOMMES

Leurs chants sont plus beaux que les hommes,

plus lourds d’espoir,

plus tristes,

et plus longue est leur vie.

Plus que les hommes j’ai aimé leurs chants

J’ai pu vivre sans les hommes

jamais sans les chants ;

il m’est arrivé d’être infidèle

à ma bien aimée,

jamais au chant que j’ai chanté pour elle ;

jamais non plus les chants ne m’ont trompé.

Quelle que soit leur langue

j’ai toujours compris les chants.

En ce monde,

de tout ce que j’ai pu boire

et manger,

de tous les pays où j’ai voyagé,

de tout ce que j’ai pu voir et entendre,

de tout ce que j’ai pu toucher

et comprendre,

rien, rien

ne m’a rendu jamais aussi heureux

que les chants...

Poème de Nazim HIKMET, écrit le 20 septembre 1960, extrait du recueil "il neige dans la nuit"


de Marcel Notargiacomo, notre ancien président

9 septembre 2007

Dans le cadre de l’ouverture de notre assemblée générale, je ne peux passer sous silence quelques réflexions à propos du contexte politique et sociétal dans lequel vivent, et nous avec, l’art et la culture, à partir de quelques constats : nous venons de vivre un ensemble d’élections à propos desquelles il est à noter que la culture a été l’une des grandes absentes des nombreux débats. Aujourd’hui, force est d’observer qu’avec Madame la nouvelle Ministre de la Culture, nous n’avons aucune lisibilité sur le devenir concret du développement culturel et artistique, si ce n’est un contenu ressemblant plutôt à un inventaire incantatoire, que l’on découvre sur le site du Ministère, accompagné d’une injonction de résultats immédiats.

Je vous en livre quelques extraits : "abandonner les politiques qui ne marchent pas au profit de celles qui marchent, réallouer les moyens publics des politiques inutiles ou inefficaces au profitdes politiques qui sont nécessaires, afin que chaque euro soit un euro utile, favoriser l’égalité des chances, assurer aux artistes une juste rémunération, développer la création et nos industries culturelles, redresser rapidement le marché de l’art français, permettre à la presse quotidienne de sortir de la crise qu’elle traverse, moderniser en profondeur l’action culturelle extérieure de la France, lutter contre les abus au régime d’indemnisation du chômage des artistes, mettre en œuvre l’objectif de démocratisation culturelle…".

Or, les choix budgétaires actuellement à l’œuvre nourrissent quelques inquiétudes, si l’on peut dire, dans un monde où tout ce qui n’entre pas dans une stricte logique de production rentable est repoussé vers les marges ; l’art et la pensée sont aussi en première ligne dans cette marchandisation et mise en spectacle de la vie. Les services publics de l’art, de la culture et de l’éducation sont de plus en plus précarisés et fragilisés, de fait, de moins en moins publics.

L’éducation culturelle et artistique reste ainsi un supplément d’âme, récemment encore opposée par le Ministre de l’Éducation aux savoirs scolaires fondamentaux (lire, écrire, compter), alors qu’elle devrait en être l’une des composantes à part entière. Comme le rappelle Philippe Meirieu : "L’éducation artistique est une composante fondamentale de l’éducation car elle développe chez l’enfant concentration, attention et imagination. Or, ce n’est plus une priorité pour l’Éducation Nationale. L’État s’est désengagé assez largement. C’est un choix politique qui peut être préjudiciable surtout pour les enfants les plus fragiles". Il s’agit là d’une situation qui s’aggrave et qui déborde largement notre pays.

La panne profonde dans laquelle nous sommes pour régler le statut des intermittents en témoigne aussi, comme le rappelait récemment Pascale Ferran aux Victoires de la musique.

Le combat reste donc entier pour la protection des salariés du secteur culturel et notamment du spectacle vivant, pour la défense de ce vaste chantier de l’éducation artistique, et aussi pour la reconnaissance du droit de la pratique artistique en amateur. On ressent fortement aujourd’hui qu’un idéal républicain d’égalité et de solidarité est en danger. Écrivant cela, je me fredonnais cette chanson de Michèle Bernare : "Les conquérants, les gagneurs, ça m’fait vomir, ça m’fait peur, j’sais pas quelle folie les mène".

On mesure ici combien les chansons peuvent être les enfants de l’amour et de la colère.

Marcel Notargiacomo